
C’est un état assez difficile à expliquer. Parfois, nous avons ce sentiment de courir, comme si nous étions libre et d’avancer sourire aux lèvres, avec l’impression d’avaler les kilomètres comme si c’était du beurre. A d’autres moments, au contraire, rien ne se passe comme prévu, la forme n’est pas au rendez-vous et nous avançons avec l’impression de trainer un boulet invisible. Sans vraiment nous en rendre compte, nous sommes devenus accrocs au fil des séances, dépendant plus ou moins fortement de cette fameuse «hormone du plaisir». Une ivresse du coureur que nous cherchons inconsciemment à reproduire chaque fois que nous sortons les baskets du placard.
UN PHÉNOMÈNE MILLÉNAIRE
Cet état de bien-être et de détente serait en fait un héritage des temps anciens où nous étions de vrais chasseurs. Il y a des dizaines de milliers d’années, la nourriture était tout simplement une préoccupation vitale, nous devions courir (très) longtemps pour espérer attraper notre diner. Une notion de satisfaction après avoir fourni un effort long et difficile qui persiste encore aujourd’hui, et qui expliquerait pourquoi nous sommes parfois heureux en courant, « notre organisme secrète des molécules chimiques provoquant un état de bien-être en récompense de l’effort accompli. Mais il produit également des substances durant l’effort qui nous permettent de mieux supporter la douleur, et de pouvoir ainsi atteindre notre objectif », explique Laurent Monassier, Professeur en Pharmacologie à la Faculté de Médecine de Strasbourg.
UNE RÉCOMPENSE
A l’origine ces « hormones du plaisir » étaient donc libérées dans le cerveau en récompense d’un effort pénible et en préambule d’un repas bien mérité. Ce fameux état de plénitude ressenti par le coureur au bout d’un certain laps de temps agit un peu comme un antalgique naturel, diminuant la fatigue et masquant la douleur. « Tout est lié au noyau accumbens, un ensemble de neurones situés dans une zone du cerveau et jouant un rôle important dans le système de récompense, dans le plaisir, mais aussi dans l’accoutumance et la dépendance » souligne Laurent Monassier. Si aujourd’hui nous n’avons plus besoin de courir derrière notre repas, mieux comprendre ce qui déclenche les réactions de notre cerveau peut aussi nous aider à mieux nous entrainer.
LES ENDORPHINES
Une fois sécrétées les endorphines se dispersent et procurent une sensation apaisante, « assez proche de celle obtenue par les opiacés ». Il s’agit de substances chimiques susceptibles de procurer un véritable état de bien-être, surnommée «hormone du plaisir». Elle a aussi son pendant pharmacologique plus connu sous le nom de morphine. Selon ce principe, un exercice physique déclencherait la libération de ces endorphines dans le cerveau. « Ces endorphines sont reliés à des récepteurs d’opiacés situés dans certaines régions du cerveau, l’effet ressenti est presque similaire à celui de la morphine », explique notre chercheur.
Mais ce n’est que très récemment qu’une équipe de chercheurs allemands a réussi à mesurer précisément les endorphines sécrétées avant et après une séance de course à pied. Lors de cette expérience, ils ont fait passer une échographie à dix coureurs pour mesurer le niveau d’endorphines dans le cerveau. Ces athlètes ont ensuite couru pendant deux heures, puis ont repassé une nouvelle échographie. Résultat: le niveau d’endorphines avait augmenté de manière significative après la course.
COMMENT ÇA MARCHE ?
Pour résumer (et malheureusement simplifier), il faut pousser un peu la machine, mais pas trop non plus afin d’atteindre cet état de bien-être. Les endorphines sont sécrétées en réponse à l’inconfort provoqué par un effort en endurance. Cet effort ne doit pas être trop intensif et pas trop court non plus. C’est un effort intermédiaire compris entre l’endurance fondamentale et le seuil. Dans l’expérience menée par les chercheurs allemands, les coureurs devaient courir 2h à une allure comprise entre 6,20 et 7,30’/km, un effort finalement peu intensif mais suffisamment long. Les chercheurs ont donc déduit que la sécrétion d’endorphines intervenait plutôt dans la longueur, une séance trop courte ne procurait pas suffisamment d’inconfort pour la déclencher.
A contrario, un entrainement trop intensif va demander un effort tel que vous ne sentirez rien du tout, car l’exercice sera trop brutal. Ce qui expliquerait éventuellement pourquoi les coureurs débutants ne ressentent pas immédiatement cette ivresse du coureur de fond, il leur faut apprendre à trouver « le bon effort ». Pour finir, sachez qu’un entraînement en groupe pourrait peut-être favoriser la sécrétion d’endorphines (étude de l’université d’Oxford), tout comme la musique qui, semble-t-il, aurait aussi une influence sur ce processus.
N’OUBLIONS PAS LE THC
Pour complexifier encore la chose, d’autres recherches sont allées plus loin et ont mis en évidence que certaines substances chimiques jouaient un rôle tout aussi important. Des exercices prolongés provoqueraient un accroissement de substances chimiques cérébrales, dont certaines ne sont ni plus ni moins que des versions naturelles de substances plutôt surprenantes comme le THC, contenu notamment dans le cannabis (vous avez bien lu). Ces substances répondants aux doux noms d’endocannabinoïdes. Notre organisme produirait donc des molécules spécifiques qui nous aideraient à atteindre ce sentiment de calme et de détente.
Contrairement aux endorphines qui ne peuvent être sécrétées que par certains neurones, à peu près n’importe quelle cellule de l’organisme est capable de fabriquer ces endocannabinoïdes, ce qui signifie qu’ils pourraient potentiellement avoir un impact plus important sur le cerveau. Pour finir, n’oublions pas non plus d’autres « ingrédients », appelées neurotransmetteurs, comme la noradrénaline, la dopamine ou la sérotonine, susceptibles d’augmenter ce sentiment d’euphorie. Bref, nous n’avons pas encore fini de découvrir toutes les conséquences, même les plus infimes, d’un simple jogging matinal.