
Au cœur du pays de Galles, le village de Llanwrtyd Wells organise chaque année le Man versus Horse Marathon, une course unique entre l’homme et le cheval. Et le gagnant n’est pas forcément toujours celui qu’on croit. Depuis la création de l’épreuve, en 1980, deux coureurs ont même réussi à s’imposer au museau et à la barbe des quadrupèdes. De quoi s’interroger sur la place de l’homme dans le peloton animal.
Comme souvent en Grande-Bretagne, tout a commencé autour de quelques pintes, un soir de 1980. La nuit est déjà bien avancée dans le petit village gallois de Llanwrtyd Wells lorsque deux chasseurs du coin, au hasard d’une conversation, se demandent qui de l’homme ou du cheval est le plus rapide sur une longue distance et un terrain accidenté. Le patron du pub, Gordon Green, prend les paris et leur propose de faire un test grandeur nature. Le premier « Man versus Horse Marathon » a lieu quelques mois plus tard. Cavaliers et coureurs s’affrontent depuis, chaque mois de juin, sur un parcours exigeant d’une quarantaine de kilomètres, à travers les vertes collines galloises. Malgré quelques aménagements de parcours, le duel a longtemps été inégal. Il a fallu attendre vingt-cinq ans pour voir le premier bipède l’emporter. Une performance renouvelée une fois seulement, en 2007, sous une chaleur peu propice aux chevaux.
La météo n’a pas toujours d’incidence. Même si les cavaliers ont parfois du mal à faire sortir leurs montures des petits cours d’eau à traverser, l’Anglais Jeff Allen, en selle sur Leo, s’est imposé l’année dernière avec plus de vingt minutes d’avance sur le premier coureur. Trop facile ? « C’est équilibré, répond ce spécialiste d’endurance équestre. Les coureurs ont un avantage en descente et sur les parties boueuses, où ils peuvent choisir de meilleures trajectoires. On peut en revanche se rattraper dans les montées. »
Quadruple championne du monde d’Ironman, Chrissie Wellington a participé pour la première fois à la course en juin 2014. « C’est absolument unique. J’ai voyagé dans le monde entier et je n’ai jamais entendu parler de quelque chose de comparable, témoigne-t-elle. Je ne sais pas combien de chevaux m’ont dépassée (les cavaliers partent avec quinze minutes de retard, temps décompté à l’arrivée, ndlr), et c’est un peu effrayant quand ils arrivent derrière vous. Deux coureurs ont déjà réussi à s’imposer, cela prouve que c’est humainement possible. »
Jesse Owens, bête de course
Les affrontements entre l’homme et l’animal ont longtemps fasciné. Quatruple médaillé d’or aux Jeux olympiques de Berlin, en 1936, Jesse Owens n’avait alors aucun adversaire à sa taille sur la piste. A son retour aux États-Unis, le sprinteur s’est donc mesuré à des chevaux de course ou à des chiens, qu’il arrivait parfois à dominer en partant avec quelques longueurs d’avance. Organisées en lever de rideau de matches de base-ball ou de football, ces confrontations étaient surtout pour l’athlète un moyen de gagner sa vie. « Les gens pensaient que c’était dégradant pour un champion olympique de courir contre des chevaux. Qu’est-ce que j’étais censé faire ? J’avais quatre médailles d’or, mais ça ne remplissait pas mon assiette », s’est défendu Jesse Owens à la fin de sa carrière.
On peut également retrouver la trace de deux sprints organisés en 1990 entre le vice-champion d’Europe du 100 mètres Daniel Sangouma et le mythique Jappeloup, champion olympique 1988 de saut d’obstacles sous la selle de Pierre Durand. Plus prompt à se mettre en action, l’athlète français a néanmoins été confortablement distancé par le cheval sur la ligne d’arrivée. Plus récemment, le Sud-Africain Bryan Habana, considéré comme l’un des joueurs de rugby les plus rapides au monde, s’est frotté à un guépard, pour le même résultat.
Le sportif est-il un animal comme les autres ? Le professeur Craig Sharp a tenté de répondre à cette question dans une étude publiée peu avant les Jeux olympiques de Londres, en 2012, par la revue britannique Veterinary Record. Le résultat est sans appel pour l’homme. « Dans des compétitions purement physiques, comme courir, sauter ou nager, nous ne pourrions rien gagner », explique ce spécialiste en médecine sportive de la Brunel University.
Recordman du monde du 100 mètres en 9,58 secondes, soit une vitesse moyenne de 37,6 km/h, Usain Bolt n’aurait ainsi aucune chance face au guépard. Pointé à 110 km/h, l’animal le plus rapide sur terre parcourt la distance en seulement 5,8 secondes. Les coureurs de demi-fond n’auraient pas davantage de réussite face aux antilopes, capables de maintenir la vitesse de 48 km/h pendant près d’un quart d’heure grâce à une VO2 max quatre fois supérieure à celle des meilleurs athlètes. Idem pour les longues distances : avec ses 2 h 02’57’’, le Kenyan Dennis Kimetto aurait franchi la ligne du marathon de Berlin avec plus de quarante minutes de retard sur un cheval d’endurance.
« L’homme n’a qu’un seul avantage sur les animaux : sa polyvalence, relève le professeur Sharp. Il peut à la fois sprinter, courir sur de longues distances, sauter, nager et soulever des poids. Aucune autre espèce n’a autant d’attributs. » Il ne reste plus qu’à se mettre au décathlon…
Chasse par épuisement
L’homme serait pourtant un coureur-né. C’est du moins la théorie défendue par plusieurs biologistes de l’évolution qui estiment que nos ancêtres se sont levés sur leurs deux jambes, il y a deux plus de deux millions d’années, non pas pour marcher, mais pour courir. Les chercheurs américains en veulent notamment pour preuve l’arsenal physiologique de l’espèce humaine : ses jambes longues et fines et ses millions de glandes sudoripares qui lui permettent d’évacuer la chaleur mieux que n’importe quel prédateur.
Une hypothèse relayée dans le livre Born to Run de Christopher McDougall. Traduit en français en 2012, l’ouvrage est devenu la bible des partisans du minimalisme. Il revient entre autres sur la technique de chasse par épuisement développée par l’homo ergaster. En l’absence de toute arme, ce dernier, moins rapide, mais plus endurant que ses proies, les pourchassait pendant des heures avant qu’elles ne s’écroulent. Il ne lui restait alors plus qu’à « finir le travail » à l’aide de pierres taillées.
Le biologiste David Carrier a décidé de mettre la théorie à l’épreuve, avec son frère Scott, coureur occasionnel, en essayant de traquer – sans succès – un troupeau d’antilopes américaines dans le Wyoming. « Elles se mélangent et changent de position. Il n’y a plus d’individus, mais une masse qui se déplace à travers le désert comme une flaque de mercure sur une table de verre. Elles utilisent le terrain pour nous distancer », raconte Scott Carrier dans son ouvrage Running After Antelope.
Neuf athlètes aguerris ont renouvelé l’expérience dans un désert du Nouveau-Mexique. Parmi eux, un Kenyan fort d’un record personnel de 2 h 10’ sur marathon. Après plus de 35 km de course en pleine chaleur, l’animal, épuisé, s’est enfin laissé approcher. Suffisamment pour être abattu. Le groupe en est resté là, mais a démontré que l’homme était capable de rivaliser avec les animaux les plus rapides de la planète sur de longues distances.
C’est sans doute cet instinct primaire qui pousse chaque année des centaines de personnes à venir tenter leur chance face au cheval dans les collines verdoyantes du pays de Galles. Et si l’animal a souvent le dernier mot, les coureurs peuvent toujours se consoler sur les autres compétitions organisées à Llanwrtyd Wells : porter de femme, course de chars romains, championnats du monde de ricochet ou nage en tourbière avec palmes et tuba. Tout un programme.